Prendre soin de soi
Sandrine Doczekalski
Sophrologue et Patient Partenaire
Jeudi 10 Septembre 19
Espace éthique & cancer - Institut Rafael
Comment demeurer encore soucieux de soi lorsque la maladie fait irruption et bouleverse sur son passage ce qui nous est le plus précieux ? Comment admettre ce à quoi il nous faut provisoirement renoncer tout en sauvegardant l’estime de soi, un bien-être, une idée de la dignité invulnérable aux concessions quotidiennes qu’impose le traitement ? Comment maintenir le cap, pas renoncer à l’essentiel, préserver son identité ?
Soin – care – sollicitude – interdépendance – vulnérabilité – multifacétaire – devoir social – équilibre
CONTEXTE GENERAL DU SOIN « CARE »
Le soin est un questionnement qui fait partie des réflexions des philosophes anciens et perdure aujourd’hui ; questionnement qui fait se rencontrer philosophie, sociologie et médecine.
Le soin que l’on appelle le « care » vient d’une idéologie anglo-saxonne, que l’on pourrait traduire par « le soin mutuel, prendre soin, donner de l’attention, manifester de la sollicitude ». Le « care » est une activité professionnelle qui vient questionner la posture du soin du point de vue du soignant.
Depuis maintenant quelques années cette notion arrive en France et se positionne dans le monde médical en complément des actes visant à la guérison « cure ». Le care à théoriquement l’ambition d’être autant un soin du corps qu’un soin de l’être. « Cure » et « care », c’est ce que nous appelons la médecine intégrative. L’un des principes de base de la médecine intégrative est de tirer profit des meilleurs soins offerts selon les approches conventionnelles et les approches complémentaires dans le but de parvenir le plus rapidement possible à la guérison du patient.
En parallèle un mouvement commence à émerger, « les patients partenaires », avec les associations de patients. Ce mouvement prend en compte la posture de la personne qui traverse l’expérience de la maladie pour la transformer en expertise et créer une alliance avec la médecine. Et c’est sous ce prisme que nous allons observer le soin, le souci de soi.
QU’EST-CE QUE PRENDRE SOIN DE SOI ?
Avant de prendre soin, regardons le soi afin de comprendre qui nous sommes. Selon le modèle de la médecine intégrative, nous sommes des êtres multifacettaires, à la fois physiques, psychologique (émotifs / intellectuels) et spirituels (spiritualité : c’est la relation de l’individu avec lui-même, avec sa famille, ses amis, son milieu, la planète et l’univers) qui s’organisent autours du désir de vivre. Dans ces facettes nous avons pour commencer le physique, le corps, qui est dans le contexte de la maladie, déjà pris en charge par les soins de la médecine. Notre façon de prendre soin de soi serait ici de créer une alliance avec le médical, en prenant en compte les traitements et les effets secondaires afin d’agir dans le même sens que la médecine et d’offrir un « terrain » favorable pour que traitement physique, voire guérison (« cure ») et rétablissement se fassent. Du point de vue émotionnel, nous savons que la maladie engendre un état de stress, voire d’anxiété. Prendre soin de soi c’est faire face à ses émotions pour ne pas se laisser déborder. Enfin l’aspect spirituel, le mental conditionne notre façon de voir le monde, prendre soin de soi c’est prendre conscience de son mental pour ne pas se laisser embarquer dans des schémas catastrophiques et vivre le plus sereinement possible la maladie et l’après maladie.
On pourrait dire que prendre soin de soi c’est devenir acteur de sa maladie en reconnaissant et considérant les différentes facettes de l’être et en agissant en conséquence afin de se donner toutes les chances de vivre le mieux possible l’expérience de la maladie.
Toujours dans l’idée de comprendre qui nous sommes, Joan Tronto, philosophe Américaine, nous dit que les personnes qui ont besoin de soins révèlent une condition commune à l’humanité entière : la vulnérabilité et l’interdépendance. Il est vrai que lorsque nous sommes en bonne santé nous cultivons cette fausse croyance, aidé par le confort matériel, que nous sommes des être indépendants et que rien ne peut nous arriver. En général on pense que « ça n’arrive qu’aux autres ». La maladie nous révèle donc cette vulnérabilité face à notre finitude et le fait que nous avons besoin des uns et des autres. Prendre soin de soi c’est reconnaître sa vulnérabilité et son interdépendance pour permettre à l’autre, soignant ou proche aidant de prendre aussi soin de soi.
Prendre soin de soi c’est reconnaître que j’ai une maladie ou que j’ai eu une maladie mais que je ne suis pas ma maladie en remettant en perspective que nous sommes plus qu’un corps. Le corps est ou a été fragilisé certes, mais nous avons toujours d’autres aspects de notre vie qui vont bien, des aspects de notre personne qui sont en bonnes formes. Ce serait cela prendre soin de soi, respecter sa dignité.
POURQUOI PRENDRE SOIN DE SOI ?
Parce que nous sommes la seule personne à connaître nos réels besoins, personne ne vit en nous à part nous-même. Nous imaginons que les autres vont deviner nos besoins et cela a souvent des conséquences décevantes. Dialoguer et agir afin de répondre au mieux à nos besoins de soins restent essentiels, parce que cela peut diminuer les douleurs et les effets secondaires des traitements, améliorer l’adhérence au traitement, jouer sur nos habitudes de vie ou intervenir sur le processus d’auto-guérison du corps.
Parce que prendre soin de soi permet de vivre aussi bien que possible avec soi-même mais aussi avec l’autre, dans un lien social. On pourrait presque dire que prendre soin de soi est un devoir social. La encore je cite la définition du soin « care » de Joan Tronto : « Activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie ».
Prendre soin de soi c’est aussi pour savoir prendre soin de l’autre. Le soin de l’autre est indissociable du soin de soi, au sens où on ne peut bien se soucier des autres que si l’on se soucie déjà correctement de soi-même. Le soin de son être permet en effet de se soucier correctement des autres.
C’est en reconnaissant que j’ai moi-même besoin de soins, besoin que l’on prenne soin de moi, que je deviendrai davantage capable de mettre le soin au centre de mes préoccupations envers autrui. Dons si j’ai besoin des autres, les autres ont besoin de moi.
COMMENT PRENDRE SOIN DE SOI ?
Par la connaissance de soi et de ses réels besoins. Se maitriser soi-même pour bien faire la différence entre les désirs naturels, nécessaires et les superflus, afin de construire un équilibre et une sécurité intérieures que rien ne puisse troubler.
C’est aussi en reconnaissant et acceptant cette nécessité fondamentale d’être touché, caressé et d’en prendre les moyens.
Avec le principe de répétition, notre cerveau enregistre les informations et de nouvelles habitudes se mettent en place par le biais d’une action répétée. Ce que l’on peut aussi nommé un rituel ou bien une discipline.
Prendre soin de soi se fait également par l’attention à l’autre et en apprenant de l’autre. L’autre m’apprend par son partage à relativiser ma propre souffrance. A l’inverse, prendre soin de soi se fait aussi en partageant et transmettant son expérience de la maladie. Prendre soin de soi en prenant soin de l’autre. C’est pourquoi Il est nécessaire de continuer pendant et après la maladie à nourrir de multiples échanges, les amitiés, les amours et tisser des liens sociaux.
Toujours dans le principe d’équilibre, Il est aussi important de cultiver les liens sociaux que d’avoir des moments de solitude pour se retrouver.
Enfin, Le soin de soi se fait également en respectant les 4 principes fondamentaux suivants pour garder l’équilibre corps – psychologique – esprit : La respiration - L’alimentation - Le sommeil - L’élimination (sport, expression des émotions…). Nous savons aujourd’hui que tout est lié, si nous manquons de sommeil cela influence le mental, l’alimentation est aussi facteur de troubles émotionnels, l’environnement influence nos humeurs etc… Il est clair qu’il existe une connexion entre le corps, le mental, les émotions et le spirituel.
EN PRATIQUE :
Santé émotionnelle : toutes activités qui permet d’exprimer les émotions.
Les arts créatifs, la musique, sourire, rire, les interactions avec le cercle proche.
Thérapeutique : musicothérapie, art-thérapie, mais aussi sophrologie, hypnose…
Santé spirituelle / mentale : activité qui développe la conscience
Gratitude, croire, le moment présent, la nature, méditer, sortir de l’ordinaire, avoir des buts personnels, yoga
Thérapeutique : Sophrologie, psychologie, psychanalyse, psychothérapie. logothérapie
Santé physique : être à l’écoute de son corps
Exercice physique, le soleil, respirer, massages, nourriture
Thérapeutique : Sophrologie, sexothérapie, nutrition, massage, APA
Sources :
§ L’éthique du care - Une nouvelle façon de prendre soin – Agatha Zielinski, enseigne la philosophie en faculté de médecine.
§ Le soin au cœur de l’éthique et l‘éthique du soin – Frédéric Gros
§ Ethique du « prendre soin » : sollicitude, care, accompagnement – Tanguy Chatel, sociologue.
§ Irène Grosjean – La vie en abondance, naturopathe.
§ Le pouvoir anti-cancer des émotions – Christian Boukaram – oncologue
§ Joan Tronto : née le 29 Juin 1952, politologue, professeur de science politique et féministe américaine
Comments